L’année sabbatique : un harakiri pour ma carrière ?

Prendre une année sabbatique ne s’improvise pas, d’autant qu’ici, nous allons parler avant tout de voyages. Pour que cela en vaille la peine, il faut que cette année (ou plus, ou moins…) s’inscrive dans un projet de vie, l’exploration d’une aspiration profonde, un besoin impérieux de respiration, de prise de recul, d’ailleurs…

Evidemment, selon le moment de la vie auquel on fait ce choix, la finalité n’est pas la même. Alors, pourquoi ? Pourquoi pas ? Décryptons les arguments pour ou contre un tel break.

Après le bac ou ses études

Tout juste libéré des bancs du lycée ou de l’université, le jeune adulte, forcément, a envie de voir le monde. Il faut dire qu’après 15 ans de scolarité (au bas mot) dans le modèle français, on peut légitimement aspirer à prendre des vacances et surtout à découvrir autre chose.

D’abord, c’est l’occasion lorsqu’on vient d’avoir son bac de se poser la question de ce qu’on veut vraiment faire plus tard. Enfin… très bientôt, en fait. Parce qu’il va falloir bosser. Alors, pour ceux qui n’ont pas encore trouvé leur voie, quoi de plus naturel que de se confronter à la vraie vie pour se décider ? Si c’est l’objectif, cela implique alors de passer cette année dans les conditions d’un vrai adulte, et pas celles d’un enfant gâté : tournure que pourrait prendre un tour du monde à l’hôtel payé par papa-maman. Au contraire, l’idée est de se confronter à la vraie vie, celle dans laquelle on doit se trouver un logement, travailler pour payer son billet et ensuite pour casser sa croûte… C’est l’occasion idéale pour valider le premier choix binaire, à savoir : « faire des études ou pas ». En 1 an, on a le temps de savoir si les bancs de l’école nous manquent ou pas. Et de connaître les conséquences de ses choix, et de ce que veut dire chercher du travail puis travailler sans diplôme.

Attention sur ce point à ne pas se fermer l’entrée dans certaines écoles qui ne recrutent qu’en post-bac, et pour qui une année sabbatique va faire mauvais effet sur le CV. Une fois encore, tout dépend comment elle est justifiée, mais elle peut être parfois rédhibitoire.

C’est aussi une opportunité évidente pour parfaire sa fluidité dans une langue étrangère : quoi de mieux qu’une immersion dans un pays pour devenir bilingue ? Surtout si vous y travaillez. Là dessus, ne vous en faites pas : il suffit d’éviter l’écueil fréquent qui consiste à se regrouper entre colocs de la même origine, mais en-dehors de ça, vous êtes sûr de progresser rapidement. Et… comment vous dire ? Pour certains choix professionnels, on peut dire que la maîtrise de l’anglais devient un incontournable absolu, totalement excluant si vous n’avez pas cette compétence. Au vu du faible dynamisme du marché de l’emploi en France, la question mérite d’être posée d’envisager une réelle expatriation pour trouver le job de ses rêves. Et là, le diplôme compte beaucoup moins que la motivation, la débrouillardise, le système D… Donc c’est très ouvert, pourquoi pas vous ?

Enfin, ne sous-estimons pas l’importance des rites initiatiques : comme a pu l’être le service militaire à une époque, l’année sabbatique peut aider certains à devenir adulte… Ou pas. En tant que parents, un tel choix doit être soutenu dès lors qu’il est construit, muri et semble s’inscrire dans une logique (certes propre à votre enfant), tandis qu’il s’agit d’en dissuader un jeune qui risque de s’y perdre. Mais ce n’est pas si facile de savoir si une telle année sera bénéfique ou non, c’est avant tout une histoire de confiance, et on peut avoir perdu confiance en notre ado, alors qu’il sait très bien ce qu’il fait… Bref, bon courage !! De toute façon, ce n’est pas vous parents qui déciderez, au bout du compte. Alors rangez-vous à la position qui vous paraîtra objectivement la plus juste, et accompagnez votre enfant s’il est réellement déterminé.

Dernière alternative à une année sabbatique : le VIE, pour Volontariat International en Entreprise. Lancé depuis déjà quelques années, cette initiative de l’Etat propose aux entreprises qui le souhaitent de recruter facilement et à un coût raisonnable (charges quasi nulles) des jeunes qui voudraient partir travailler à l’étranger pour une période définie. Pour l’avoir expérimenté, c’est une excellente manière de booster son CV et de réaliser des missions passionnantes, quasiment introuvables pour des jeunes en-dehors de ce dispositif. Attention, il faut avoir entre 18 et 28 ans pour être éligible. Plus de renseignements

Quand on est salarié 

Il s’agit de bien cerner ce qu’implique le congé sabbatique d’un point de vue réglementaire pour un salarié.

Le salarié demande un tel congé au moins 3 mois avant la date de son départ, pour une durée de 6 à 11 mois. L’entreprise peut différer ce congé sous certaines conditions, mais rarement le refuser purement et simplement.

Le salaire n’est pas maintenu et le contrat de travail est suspendu, ce qui induit que le salarié peut choisir d’exercer une autre activité professionnelle durant son congé, sous réserve de loyauté vis-à-vis de son employeur initial.

signatureAttention, pour bénéficier d’un tel congé, le salarié doit justifier de 3 ans d’ancienneté dans la même entreprise, et de 6 ans d’expérience professionnelle, et ne pas avoir déjà profité d’un congé sabbatique, d’un congé pour création d’entreprise ou d’un congé de formation d’au moins 6 mois durant les 6 dernières années. A l’inverse, il est tout à fait possible de prendre un congé sabbatique puis de demander un congé pour création d’entreprise, l’ordre de vos démarches a donc de lourdes conséquences ! A défaut de respecter ces conditions, tout salarié peut demander un « simple » congé sans solde, qui pourra être refusé par l’entreprise sans justification. Notons que l’équivalent du congé sabbatique dans la fonction publique est la mise en disponibilité, mais ses conditions sont très différentes (beaucoup plus souples). En savoir plus

Par ailleurs, le relationnel préexistant avec l’employeur et la période à laquelle le congé sera demandé va bien entendu conditionner l’ambiance du retour dans l’entreprise : Vous partez en plein milieu d’un projet stratégique dans lequel vous jouez un rôle clé ? Vous venez de prendre deux congés maternité dans les 2 années précédentes et vous enchaînez avec un congé sabbatique ? Vous voulez faire payer je ne sais quelle petitesse à votre manager ? Attendez-vous à un retour glacial… Vous êtes sûr de vouloir procéder de cette façon ? Rappelez-vous que vous pouvez tout simplement faire le choix de démissionner ou de négocier votre départ. C’est parfois plus juste pour l’entreprise, et plus clair pour vous également. Il n’y a pas de retour, au moins vous savez où vous en êtes. De toute façon, ne vous attendez pas à pouvoir vous inscrire simplement à Pôle Emploi après une année sabbatique qui se conclut par un départ de l’entreprise : c’est un peu logique, non, quand on y réfléchit ?

Bon à savoir : Si vous êtes chômeur indemnisé au moment où vous décidez de prendre ce congé sabbatique, vous avez la possibilité, plutôt que d’abuser de votre droit à indemnisation, de suspendre les versements durant votre voyage et de les réactiver à votre retour (il suffit pour cela de mentionner dans votre déclaration avant de partir que vous n’êtes plus à la recherche d’un emploi).

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Pour le coup, je n’ai pas pris d’année sabbatique complète en tant que salariée, mais je suis tout de même partie 3 mois continus pour faire un grand voyage en famille en Nouvelle-Zélande et en Australie, en utilisant un congé sans solde. Quel était notre objectif ? Que notre fils entre à l’école avec les yeux grands ouverts sur le monde, familier avec une langue étrangère et curieux, dégourdi, sociable… Pari gagné, avec en prime de beaux moments passés tous les 3 et des souvenirs réellement inoubliables, à donner le biberon à un bébé kangourou, à regrouper un troupeau à dos de cheval, à contempler des couchers de soleil plus grandioses les uns que les autres, à nager au beau milieu de la barrière de corail…

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Fait au bon moment, cette petite aventure n’a eu aucun impact direct sur ma carrière, hormis le fait de voir les choses autrement et donc de me poser ensuite beaucoup plus de questions sur mes choix… Allez savoir si c’est à ce moment que mon envie de me tourner vers l’entrepreneuriat a germé ?

En tant qu’indépendant

Que ce soit en tant que salarié ou indépendant, la conséquence financière immédiate est a priori la même : pas de revenus durant la durée du congé sabbatique. Voyez tout de même comment limiter vos dépenses ou générer de nouvelles sources de revenus pendant votre voyage, par exemple en louant votre appartement en votre absence. Dans ce même esprit, certains se créent une cagnotte en amont de leur voyage en proposant de rendre différents services contre un petit quelque chose. C’est le cas d’Elsa et Quentin qui préparent un tour du monde pour 2017.

Pour un indépendant, la décision de partir est plus personnelle et vous aurez plus de liberté pour la prendre, mais cela n’empêche que le timing aura toute son importance pour la suite de votre activité professionnelle : si vous venez de répondre à 10 devis et que vous plantez tous les projets du fait de votre départ, votre réputation risque d’en pâtir… et dans ce sens-là, les gens n’auront pas oublié à votre retour !!

Idée n°1 : Préparez votre reprise en contactant en amont vos partenaires professionnels habituels pour vous rappeler à leur bon souvenir. Vous le savez mieux que personne, les contrats ne tombent pas du jour au lendemain, donc il faut anticiper ! Enfin, sauf si vous avez 6 mois de marge une fois revenu pour gagner à nouveau votre vie… Pour certaines professions, il est même souhaitable de continuer à travailler à distance sur certains petits contrats (lorsque c’est faisable évidemment, je pense par exemple à des graphistes). Ainsi, personne n’aura même eu le temps de s’apercevoir de votre absence.

Idée n°2 : Associez-vous avant de partir. Votre nouvel associé sera ravi de voir votre volume d’affaires lui revenir pendant votre congé, et à votre retour, vous aurez plus de facilités à vous remettre le pied à l’étrier puisqu’il aura entretenu votre réseau. Encore faut-il trouver quelqu’un de confiance, qui va faire du bon travail et ne pas vous mettre à la porte en cours de route !

Idée ultime : Utilisez votre voyage comme un outil professionnel. Certes, il faut avoir envie de le faire, mais cela peut donner une nouvelle dimension à votre carrière si vous en faites une opportunité pour trouver de nouvelles idées ailleurs, pour pivoter, pour trouver un ou plusieurs associés, pour changer de vie, pour faire le buzz dans votre domaine d’activité… Imaginez un menuisier qui au bout d’un an, pourrait présenter le book de ses créations aux 4 coins du monde ?

Pour un retraité

L’avantage quand on est retraité, c’est qu’on ne risque plus grand chose pour sa carrière !!

Par contre, on peut se poser la question d’être toujours en vadrouille, surtout lorsqu’on a une flopée de petits-enfants qui ont besoin d’une nounou le mercredi, pendant les vacances… Il faut donc faire des choix, encore ! Ou pas… Partir 6 mois par an durant les tristes mois d’hiver pour confirmer le bon vieil héliotropisme des sexagénaires et profiter de sa tribu l’été, est-ce que ça ne serait pas ça, le bonheur ?

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Certains vont jusqu’à émigrer pour leurs vieux jours dans des pays plus ou moins exotiques. Attention alors à bien vous entourer ! Le soleil oui, mais isolés de vos amis et de votre famille, il fera grise mine… Alors pourquoi ne pas envisager l’habitat collectif, pour partager un projet trans-générationnel avec d’autres familles dont la manière de vivre pourrait rejoindre la vôtre ? Mais c’est une autre histoire…

Conclusion

Partir oui, mais dans de bonnes conditions et pour les bonnes raisons !

Autre question que nous n’avons pas abordé : l’année sabbatique doit-elle être une introspection, en solitaire, ou être partagée, en couple, en famille, entre amis… ? Pas de réponse toute faite, mais posez-vous bien la question de vos objectifs et de vos envies avant de partir. Et laissez-vous le droit de changer d’avis en cours de route, au fil des rencontres, des concours de circonstances et des facéties du destin.

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Je pense ici à un ami, Pilou, qui, parti à plusieurs pour un tour du monde à la voile, a finalement continué sa route seul, mais ouvert aux autres, se transformant par exemple pour quelques temps en instituteur à Madagascar au détour d’une conversation sur un bateau quelque part au sud du continent africain. Découvrir ses photos

D’ailleurs, nous n’avons pas parlé d’humanitaire. Ca vous démange ? Pour un vrai dépaysement, du sens et du sérieux, vous pouvez notamment vous tourner vers Envol Vert, association que je suis et soutiens depuis plusieurs années, et qui œuvre à la fois en France et en Amérique Latine. En savoir plus

Ne vous trompez pas non plus entre grand et petit voyage. Parfois, le voyage intérieur sera très fort sans avoir besoin de traverser des océans. Il suffit pour cela de lire le récit des pèlerins de Compostelle ou de certaines philosophes marcheurs comme Axel Kahn. La destination et le chemin qui y conduit ont donc toute leur importance.

Espérons en tout cas que vous vous laisserez porter et que vous reviendrez changé, différent, mais plus proche de votre nature profonde. Prêt à jeter l’ancre ou à repartir.