Le prix du gratuit

Notre monde est ainsi fait que désormais, nous autres consommateurs, citoyens, salariés… sommes habitués à disposer de beaucoup de produits et de services gratuits.

Vous voulez un exemple ? La multiplication des MOOC donne accès à des ressources intellectuelles quasi infinies, et gratuites pour la plupart. Dans un domaine connexe, c’est aussi le cas de nombre d’ateliers proposés dans des espaces de coworking.

Est-ce une aubaine et le signe que notre société se porte bien, ou au contraire un symptôme qui devrait générer de l’inquiétude ?

En tout cas, cette gratuité suscite 3 questions fondamentales :

    • Comment ces modèles pourraient-ils être pérennes s’ils ne sont pas sous-tendus par un modèle économique viable ?
    • Quelle est la valeur perçue de ce qui est gratuit ?
  • Quel est le vrai prix à payer derrière le gratuit ?

La pérennité des modèles gratuits

Dans plusieurs secteurs d’activité, et notamment depuis l’émergence de l’économie circulaire et collaborative, il arrive fréquemment qu’un modèle gratuit apparaisse, casse les règles du marché, s’empare ainsi de parts de marché significatives et passe ensuite progressivement à un modèle payant :

La première évolution consiste en un système d’options, conservant l’accès gratuit pour des fonctionnalités basiques et proposant des services additionnels payants (Le Bon Coin, qui devient payant au-delà de 3 photos par annonce ou encore MailChimp qui envoie gratuitement vos campagnes d’e-mailing jusqu’à 2000 destinataires), c’est ce qu’on appelle le Freemium ou encore l’In-app purchase (lorsque vous utilisez une application mobile gratuitement, mais débloquez ensuite certaines fonctionnalités en payant, pour certains niveaux de jeux par exemple).

La seconde évolution est la généralisation d’un modèle payant avec des tarifs qui restent abordables pour le plus grand nombre (Air BnB, qui prélève 3% de frais à l’hôte pour chaque réservation). C’est le cas de nombre d’applications mobiles (celles qui ont trouvé leur public en tout cas), qui ont créé et testé des usages en version gratuite, pour ensuite devenir payantes : l’industrie de l’app mobile représente aujourd’hui un chiffre d’affaires de 30 milliards d’euros par an au niveau mondial, soit quasiment autant que l’industrie du cinéma (source).

Dans le cas des MOOC, il s’agit également souvent d’un système à option, avec des cours et l’accès aux différentes ressources (documentation, forum…) qui restent gratuits et un certification final qui devient payant. Pour les ateliers en espaces de coworking, les lieux dont la communauté est friande de nouveautés accepte aujourd’hui de payer pour certains contenus : soit ils le font à « prix libre », auquel cas certains jouent le jeu et d’autres pas du tout ;-), soit l’offre se professionnalise lorsque ces ateliers peuvent s’apparenter à des formations en tant que telles (Mutinerie par exemple a créé sa propre School).

Quoi de plus louable que d’offrir cet éveil intellectuel au plus grand nombre ? Ou encore des produits alimentaires en libre-service dans les rues ? Oui, mais n’oublions pas que toutes ces initiatives ont un coût, indubitablement. Il est assumé par une association, une entreprise, une collectivité locale… qui a un intérêt à ce que ces pratiques soient diffusées. Il faut alors se poser la question des motivations de cette générosité : intérêt collectif ? fidélisation ? électoralisme ? marketing-produit ? lobbying ? désinformation ?? C’est une vraie question que vous devez vous poser quand vous intégrez un tel dispositif. Si l’initiative vous paraît réellement désintéressée, ou prône des valeurs collaboratives auxquelles vous adhérez, il n’en reste pas moins qu’il est toujours important de conserver du recul par rapport à ce qu’on vous y raconte et d’aller vous-même croiser les informations que vous recevez. A l’inverse, si vous avez l’impression d’avoir bénéficié d’un contenu de qualité, qui a répondu à vos attentes, il semblerait logique que vous en payez un juste prix : publicité en faveur du programme, mise en relation, don, investissement en temps…

Et pourtant… seuls 30 % des 15 / 25 ans se disent prêts à payer pour des images, 34 % pour de la musique et 40 % pour des jeux en ligne. Et après 25 ans, les volontaires pour ouvrir leur porte-monnaie sont encore moins nombreux : 23 % pour le cinéma en ligne, 18 % pour la musique et 28 % pour les jeux. A noter que toutes catégories d’âge confondues, les possesseurs de smartphones sont nettement plus prêts à payer que les autres pour toutes les activités précédentes (source). A méditer…

La valeur perçue du gratuit

pepiteMon dernier manager en entreprise m’aura appris une chose : « Ce qui est gratuit n’a pas de valeur ». A l’époque, j’ai trouvé ça très caricatural et assez contestable comme postulat. Mais aujourd’hui, en tant qu’entrepreneur, je peux vous le confirmer : donner sans contrepartie est souvent dévalorisé. Je ne dis pas qu’il ne faut jamais faire de « cadeau », mais dans le cas d’une relation professionnelle, il est logique que tout travail mérite salaire. Pas forcément en monnaie sonnante et trébuchante, cela peut être un échange de bon procédé : tu m’aides, je te rends la pareille. Tu me fais de la pub sur les réseaux sociaux, je t’envoie un prospect.

Encore un exemple : en tant qu’espace de coworking, on est sollicité très régulièrement par des porteurs de projet qui souhaitent eux aussi se lancer dans l’aventure. Dans la philosophie d’un secteur très open source, il est normal d’accueillir ces petits nouveaux avec bienveillance. Sauf que… Beaucoup viennent comme on va au marché : j’aurais besoin de votre business plan, votre bilan, votre plan marketing… merci, au revoir, plus de nouvelles. C’est ça, l’esprit collaboratif ? J’ai rapidement dessiné une offre propre à accompagner ces porteurs de projet, moyennent salaire. Et bien figurez-vous que ceux qui sont réellement sérieux dans leur démarche ne rechignent pas, dès lors que le tarif reste abordable, à investir pour leur projet : et ce sont eux qui donnent des nouvelles et qui deviennent ensuicollabote de réels partenaires de notre écosystème ! Consultez notre offre de conseil et de formation.

Autre exemple qui illustre bien la valeur donnée au gratuit : notre espace de coworking a souhaité soutenir Place à l’Emploi lors de la semaine organisée fin novembre 2016 en faveur des demandeurs d’emploi et de leur réinsertion professionnelle. A ce titre, 2 ateliers totalement gratuits ont été programmés : le premier comptait 5 inscrits. Finalement, seuls 4 se sont déplacés. Rappelé à l’heure de l’atelier, le 5ème ne se souvenait même pas s’y être inscrit. Le second atelier affichait complet, avec 12 participants inscrits, empêchant donc d’autres personnes intéressées de rejoindre l’atelier : finalement, seules 7 personnes ont fait le déplacement, 2 des absents n’ayant donné aucune nouvelle et 3 ayant décommandé le jour-même.

Un nouvel outil surfe sur cette difficulté : la plateforme NoMoNoShow propose aux organisateurs d’événements de gérer des inscriptions en ligne : si la personne participe effectivement, elle ne paie rien, par contre elle se verra débitée si elle n’est pas venue sans prendre la peine d’annuler à l’avance. Pas bête ?

L’idée est bien sûr de responsabiliser les bénéficiaires de ce foisonnement d’événements, qui ont tendance à s’inscrire à la légère à tout et n’importe quoi, sans même le noter parfois, et donc de ne pas s’y rendre ensuite, sans aucun scrupule pour l’organisateur qui aura prévu une intendance en fonction d’un nombre d’inscrits, parfois très éloigné de la réalité. Je sais que vous, lecteur, vous dites en ce moment : « Mais ça peut arriver d’avoir un imprévu de dernière minute ! ». C’est vrai… Mais pensez à la dernière fois où vous avez finalement annulé votre participation à un événement. Si, si, faites un effort… Dans 90% des cas, c’est de la grosse flemme, du genre « J’avais eu une grosse semaine, j’étais trop crevé… ». Typiquement, si vous prévoyez trop d’événements, vous êtes à peu près sûr de ne finalement pas vous rendre à la moitié.

Le vrai prix du gratuit

Vous devez l’avoir appris de vos grands-parents ou en regardant Once Upon a Time : tout a un prix. Quel est celui du gratuit ?

Plusieurs effets notoires sont incontestables : certaines industries ont beaucoup souffert et ont vu la diversité et la richesse de leur offre grandement diminuées par l’introduction de la gratuité : l’exemple de l’industrie musicale est éloquent. L’effet bénéfique malgré tout est qu’il a poussé certaines artistes à multiplier les concerts et les événements, qui deviennent aujourd’hui leur principale source de revenus, à défaut de vendre des CD.

Autre conséquence du gratuit : qui dit perte de revenus dit restrictions budgétaires et donc casse sociale. Les rédactions de la presse traditionnelle en savent quelque chose, ayant subi de plein fouet l’arrivée des journaux gratuits. On pourra évidemment leur objecter qu’ils n’ont pas su s’adapter aux nouveaux modèles de communication digitale, retard qu’ils essaient aujourd’hui de combler. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez l’approfondir par la lecture de cet article.

donneesEnfin, un effet plus sournois et indirect du gratuit est le recueil de plus en plus chronique de données personnelles, en échange de l’accès à tel produit ou service. Qui n’a pas déjà rempli un questionnaire pour recevoir une contrepartie ? Vous êtes donc fiché, étudié, marketé, sollicité… Vous êtes devenu un prospect qualifié. Evidemment, rien ne s’y oppose, mais c’est bien d’en être conscient. Big Brother is watching you…

prenez
Alors, et vous ? Quel consom’acteur êtes-vous ? Aviez-vous conscience de tous ces effets du gratuit ? Et puis, il y aussi des choses qui de toute façon ne s’achètent pas… Je suis preneuse, comme d’habitude de vos commentaires sur les réseaux sociaux : Facebook, LinkedIn, Twitter.