La face cachée du coworking

La face cachée du coworking

Je trouve que la façon dont l’univers du coworking est présenté dans les médias est parfois trompeuse : ce serait un monde dans lequel tout le monde s’aime et où tout est rose…? Pour avoir créé et pour gérer au quotidien depuis maintenant 2 ans et demi un espace de coworking, je peux vous assurer que la réalité est toute autre. C’est le message que je veux faire passer aujourd’hui à tous les porteurs de projet qui souhaitent se lancer dans l’aventure du coworking, et que j’accompagne désormais.

La convivialité dans un espace de coworking : pas si simple

Evidemment, plusieurs modèles de coworking existent. Les petits, les grands, les indépendants, les franchises, les coffices, les très pros, les très ouverts, les ESS… Mais ce qui est rigolo (vous pouvez vérifier), c’est que tous revendiquent exactement la même valeur ajoutée –> un espace de travail partagé performant et un réseau convivial. Vous allez me dire, en même temps, c’est logique, puisque c’est plus ou moins la définition du coworking. La plupart des espaces joue vraiment le jeu, mais certains usent et abusent de cette mode pour entrer dans la place et simplement convertir des bureaux classiques en espace de coworking en mettant 2 coups de peinture jaune et en changeant 3 chaises (quand je dis « mode », ce n’est pas que je pense que ce soit éphémère, mais que le côté tendance du coworking crée un opportunisme de marché). La conséquence ? Un marché où plus personne ne comprend vraiment ce qu’est le coworking et qui dévoie le concept originel et génère de grandes déceptions chez certains coworkers.

Non pas qu’un modèle soit plus pur que l’autre, simplement il ne faut pas me faire croire que la convivialité peut exister réellement dans un espace de 4000m2 ou plus. J’ai visité ces espaces. J’ai échangé avec d’anciens coworkers de ces espaces. Oui, ils peuvent trouver des opportunités d’affaires. Non, ils ne sont pas dans un environnement convivial et dans un climat de confiance, entourés de personnes qu’ils connaissent et croisent au quotidien (sauf en intra-entreprise, ce qui est assez éloigné de l’idée de départ). J’ai coutume de dire que la confiance existe bel et bien entre coworkers le jour où aucun coworker ne se pose la question de laisser traîner son MacBook Pro sur son poste de travail lorsqu’il va déjeuner.

Et ne me dites pas qu’un réseau social peut remplacer le contact réel (c’est simplement un outil de facilitation), ou qu’un réseau peut s’étendre à l’infini : en fait, le chiffre pivot se situerait autour de 100 personnes (déjà démontré par de multiples études scientifiques, notamment par l’étude de groupes de primates). Au-delà d’une certaine taille, on ne peut que retomber dans la logique du centre d’affaires, qui a bel et bien de beaux jours devant lui, mais n’a rien à voir avec un espace de coworking.

Le modèle économique d’un espace de coworking : pas si simple

A en croire les articles sur le sujet, le coworking est l’eldorado du marché des bureaux. Hum, comment dire… Si on reprend la définition du coworking, il faut :

1/ mettre à disposition des coworkers des postes de travail (en open space, en bureau fermé… attention là encore à la proportion, si on veut réellement être un espace de coworking : l’effet couloir des pépinières de l’ancien temps n’est pas loin),

2/ proposer un cadre qui suscite les échanges, et donc amène cette fameuse convivialité.

On est d’accord que la première dimension requiert de proposer un espace de travail suffisamment spacieux, ergonomique et modulable pour répondre aux usages qu’en font les coworkers quotidiennement ?

On est d’accord que la deuxième dimension nécessite une présence au quotidien pour animer le lieu et créer du lien entre les coworkers ?

Tout ceci a un coût. L’espace se trouve en ville ? La taille critique pour couvrir la rémunération de cet/ces animateurs sera vite atteinte, mais le foncier est cher (et nous avons vu que la taille a ses limites). L’espace se trouve à la campagne ? Le foncier est moins coûteux, mais le potentiel de ce marché est réduit et la taille critique pour couvrir un salaire sera donc très difficile à atteindre. Il est assez simple de comprendre que ce concept ne peut qu’être moins rentable que des espaces de bureaux classiques, surtout si on y ajoute le critère de la prévisibilité des revenus (bail 3/6/9 vs flexibilité totale).

Conclusion ? Un espace de coworking s’inscrit dans une démarche d’économie sociale et solidaire : un tel lieu constitue une brique du dispositif de développement économique, social et environnemental d’un territoire. A ce titre, il ne doit pas pour autant vivre sous perfusion de subventions publiques, ce qui le rendrait très vulnérable à toute réorientation politique, mais il doit bénéficier du soutien des collectivités locales (aide à l’amorçage, effort de communication, organisation d’événements communs, simplification administrative, mise à disposition de locaux le cas échéant…) et être perçu comme une opportunité et une source d’économies pour l’acteur public.

Mais pourquoi tant de porteurs de projet se lancent dans l’aventure, si ce n’est pas rentable ? D’abord, beaucoup s’y lancent en imaginant qu’ils vont très bien gagner leur vie avec leur espace de coworking. Sauf cas particulier, c’est faux et cette erreur tient au relais médiatique qui en est fait actuellement (consultez les comptes des principaux espaces !). D’autres ont conscience en amont de l’ouverture de leur espace qu’ils ne pourront pas se rémunérer avec cette activité, mais ils y voient l’opportunité de travailler dans un lieu partagé, ce qui peut constituer un véritable levier de croissance pour leur propre activité (c’est le cas de nombre de graphistes ou développeurs qui bénéficient d’un tel réseau, c’est mon cas également). Enfin, certains projets naissent d’un collectif, intégrant parfois des acteurs publics et privés, qui créent ensemble un espace pouvant profiter à tous, dans l’intérêt collectif. C’est une solution idéale qui incarne bien les valeurs du coworking, mais elle est au moins aussi difficile à pérenniser que les autres modèles et encore très rare.

Après ces précisions, vous comprendrez que personnellement, avec mon petit espace de coworking perdu au milieu de la campagne, qui dispose de 25 postes de travail, je ne me sens aucunement menacée par WeWork ou un autre gros acteur. Pas assez rentable pour eux. Pas le modèle attendu par les coworkers locaux. Je suis par ailleurs ravie d’avoir créé Le 50 Coworking, même si l’espace en lui-même ne me permet pas (et ne me permettra jamais) de me rémunérer : c’est un terrain de jeu passionnant et qui vient enrichir mon expérience pour proposer des accompagnements toujours plus pertinents aux porteurs de projet et aux entreprises que je conseille et que je forme.

Je souhaite simplement sensibiliser ceux qui ne sont pas immergés dans l’univers du coworking au quotidien au fait que les apparences sont parfois trompeuses…