Les slasheurs et autres barbarismes langagiers du monde du travail de demain

Slasheurs, Blurring, Chief Happiness Officer, Burn-out… Ce ne sont pas de simples et charmants anglicismes.

On dirait que certains s’emploient à inventer chaque jour de nouveaux termes inaccessibles à ceux qui ne maîtrisent pas la langue de Shakespeare, mais aussi à tous ceux qui ne passent pas leur temps sur les webzines (magazines en ligne pour les intimes). Car même quand on parle anglais, désolée, mais le blurring n’est pas très explicite en soi : ça veut dire brouiller, estomper, troubler, flouter… De là à faire naturellement le lien avec la disparition progressive de la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle, il faut tout de même avoir de l’imagination.

Alors voilà : j’ai décidé de vous faire un petit lexique de tous ces barbarismes langagiers, et j’en profite aussi pour vous en proposer une analyse critique, qui n’engage que moi. Utilisez le contenu de ce dossier pour briller en société, ou partagez-le avec vos amis si vous êtes beau joueur ! Je suis preneuse de vos retours…

Les slasheurs : génies ou usurpateurs ?

Définition : Un slasheur est un Multi-entrepreneur. Plus généralement, c’est une personne qui revendique le fait d’avoir plusieurs identités dans sa vie professionnelle. Source

Un slasheur, c’est donc un butineur, un multi-casquette, un homme (ou une femme) orchestre. Quelles sont les réalités cachées derrière cette tendance ?

D’abord, cela implique une envie de diversification dans les tâches professionnelles : halte aux missions répétitives et sans surprise, cadencées, normées… C’est l’aventure ! Tu fais quoi dans la vie ? Je suis responsable des visites et de l’entretien dans un musée et je crée des lampes… Je suis agent immobilier et je crée des tableaux inspirés de la chromothérapie… Je suis fondatrice d’un espace de coworking et je participe à des projets cinématographiques… (Tous ces exemples sont vrais !) Aucun jour ne ressemble au précédent ou au suivant.

Mais c’est aussi, assez paradoxalement, la sécurité : qui ne connaît pas le fameux adage de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ? C’est exactement ce que fait le slasheur. Il développe plusieurs activités, souvent complémentaires et connexes, mais néanmoins indépendantes les unes des autres. Cela lui assure un confort certain dans l’hypothèse d’un arrêt de l’une de ses activités. Au-delà du confort matériel que cela procure, c’est un confort psychologique qui limite la pression que peut exercer chaque client / commanditaire sur le slasheur, qui peut choisir plus librement de mettre fin à une relation professionnelle qui ne le satisferait plus. C’est aussi la garantie d’un pivot sans cesse renouvelé, pour que ses activités répondent au mieux aux besoins de ses marchés et s’adaptent aux évolutions de notre société. Le slasheur est donc aussi un opportuniste, qui écoute et s’ajuste en fonction de ce qu’il entend et perçoit. Il est aussi parfois légèrement schizophrène et souvent surbooké, mais c’est une autre histoire.

Le revers de la médaille, c’est le pendant des arguments précédents, à savoir que le slasheur peut difficilement être considéré comme un spécialiste, et peut alors ressentir le syndrome de l’usurpateur : j’interviens sur un énième sujet, suis-je réellement capable de mener à bien ma mission ? Suis-je crédible ? Dans les faits, la variété des expériences et le large spectre des centres d’intérêt est le plus souvent un gage de compétence et de sa capacité à voir plus loin ou hors cadre. Si tant est que le slasheur soit réellement un passionné, et non pas un simple indécis voire un éternel insatisfait, qui se cherche et ne se trouve jamais…

Pour aller plus loin

Le blurring, ou quand son job devient sa vie (et inversement)

Définition : Le blurring signale que la frontière entre vie privée et professionnelle s’estompe, que les domaines du travail et du « perso » deviennent flous. Source

Le blurring est lié à 3 phénomènes distincts :

En premier lieu, l’hyper-connexion des professionnels, qui sont reliés à leur bureau en permanence par des outils toujours plus nomades : smartphone en tête. Comment s’arrêter de jeter un œil à ses mails lorsqu’on les reçoit à toute heure et en tout lieu directement sur son téléphone ? Comment faire la part des choses lorsqu’on travaille en partie chez soi, dans les transports, au café…? Le nomadisme professionnel et les outils technologiques associés ont clairement modifié les frontières entre le monde professionnel et la sphère privée.

Le cabinet Page Group a publié en 2017 une étude, mettant en avant les faits suivants :

  • 71% des salariés utilisent leurs propres appareils à des fins professionnelles ;
  • 55% des entreprises françaises donnent des smartphones à leurs salariés ;
  • 78% des managers sont sollicités par leur travail en dehors de leurs horaires professionnels ;
  • 3 salariés sur 4 consultent leurs e-mails ou répondent à des appels professionnels en dehors de leur temps de travail ;
  • 48% travaillent pendant leurs vacances.

Ici, le problème vient principalement du rapport hiérarchique et des objectifs de performance définis entre l’entreprise et son salarié. Le blurring est alors subi.

En second lieu, nombre de professionnels ont fait des choix de carrière « passion », en optant pour un métier qui les fait vibrer, qui rejoint leurs centres d’intérêt privés et empiètent donc inévitablement l’un sur l’autre. Beaucoup se réjouiront de ce recentrage : « Le plus beau des métiers, c’est de vivre de sa passion. », François Salvat de Montfort. Pour ceux-là, on parle de blurring volontaire, puisqu’ils choisissent leur situation. C’est typiquement l’artisan qui travaille dans l’appentis au fond de son jardin, organise des ateliers et des ventes chez lui, repart travailler pour peaufiner un détail de sa dernière création quand les enfants sont couchés…

En troisième lieu, les nouveaux espaces de travail, comme les espaces de coworking, du fait même de leur caractère hybride, proposent des activités à cheval entre l’univers personnel et professionnel. Là encore, le blurring est volontaire, puisque les coworkers adhèrent à un concept qui mixe explicitement travail et convivialité. Celui avec qui on a partagé un repas hier devient le client de demain, on croise l’enfant de l’un ou le chien de l’autre entre 2 réunions. Finalement, c’est le grand retour d’un environnement de travail paternaliste, comme a pu l’être Michelin il y a quelques décennies. Sauf qu’aujourd’hui, chacun peut faire ses choix, sans pression hiérarchique et injonction d’en être ou pas.

Quelle que soit l’origine de ce mélange des genres, le but est probablement de ne pas se laisser envahir par une dimension de sa vie, au détriment des autres. Lorsque le travail, aussi passionnant soit-il, devient notre seule raison de vivre, plusieurs effets nocifs évidents peuvent apparaître :

  • le trop-plein, qui génère un effet de stress et une baisse de performance et d’envie (et parfois même conduit au burn-out),
  • le délaissement des autres aspects de sa vie (éloignement de la famille, des amis, défaut d’activité sportive…)
  • en cas de pépin du côté professionnel, la chute n’en est que plus dure

Alors, qu’en conclure ? Chercher l’alignement entre les différents aspects de sa vie est salutaire pour se sentir en cohérence avec soi-même. La recherche des équilibres est ensuite bien subtile et implique des ajustements constants. Des outils existent pour se poser ces questions au quotidien, notamment la roue de la vie :

Pour bien utiliser cet outil, vous pouvez consulter les nombreuses ressources existant sur Internet. Le principe est simple : l’objectif n’est pas d’équilibrer de manière arbitraire chacune de ces catégories, ou même de conserver toutes celles qui sont mentionnées ici. Vous pouvez considérer que l’une d’elles ne vous correspond pas et choisir de la remplacer par une autre. Commencez par faire le diagnostic de la répartition actuelle de votre temps. Posez-vous la question de la justesse de cette répartition par rapport à vos objectifs, et imaginez la répartition idéale pour vous, pour demain. Et déclinez des actions vous permettant de vous en approcher… tout en vous posant régulièrement la question de la répartition idéale, en fonction de vos évolutions !

Pour aller plus loin

Les « out » : Burn-out, Bore-out et Brown-out, où comment dire avec des mots compliqués qu’on n’en peut plus de son boulot

Vous avez déjà dû entendre parler du Burn-Out. C’est un syndrome d’épuisement lié au travail. En résumé, vous en avez fait trop, tellement trop, que votre corps vous a dit NON. Ou plutôt, puisque vous n’avez pas voulu l’entendre, il vous l’hurle. Un beau matin, vous n’arrivez carrément plus à sortir de votre lit. Et là, c’est le drame, parce que dans votre organisation, tout repose sur vous : emmener les enfants à l’école, faire les courses, rendre le rapport ultra confidentiel que la direction attend… Et bien, tout cela attendra. Car là, maintenant, tout de suite, vous n’êtes plus capable d’enfiler vos pantoufles sans faire un malaise.

Commence alors un long processus : le choc de la surprise, la prise de conscience, l’angoisse, le désespoir, le lâcher-prise… et la reconstruction. Qui conduit souvent à de profonds changements, personnels et professionnels. Difficile de résumer le Burn-out en quelques lignes. En tout cas, il ne faut pas hésiter à s’adresser à des professionnels qui pourront vous aider dans cette épreuve. Notamment un sophrologue ou un hypnothérapeute, familier des risques psycho-sociaux.

Le Bore-out est un peu moins connu, mais tout aussi destructeur. Il s’agit de l’ennui profond ressenti dans un travail qui ne nous correspond pas… Vous occupez votre journée à des tâches sans intérêt, et vous les réalisez sans envie. Vous vous ennuyez, par manque de contenu ou parfois par l’absence même de travail à fournir. J’ai vécu cela lors d’un stage (heureusement !), durant lequel, malgré mes demandes répétées, je n’avais pas assez de travail à faire pour occuper ma journée. J’ai donc décidé d’apprendre par cœur le nom et les numéros des départements français… On s’occupe comme on peut ! Si c’était à refaire avec les moyens actuels à notre disposition, je pense que je suivrais un MOOC ou deux, histoire d’apprendre dans un environnement collectif. Je vous recommande à ce titre l’Université des Colibris, dont les enseignements variés et de qualité sont une manne d’inspiration.

Enfin, le Brown-out correspond à la douleur et au malaise ressentis suite à la perte de sens de ses objectifs de travail et à l’incompréhension complète de son rôle dans la structure de l’entreprise. Typiquement, vous faites partie d’une grande entreprise, vous gérez des projets certes ambitieux mais déconnectés de toute réalité et de votre quotidien. Vous travaillez en silo, sans vision d’ensemble et de vision. Vous ne savez plus vraiment à quoi sert votre implication, car vous n’en voyez pas les effets, ou pire encore, vous avez l’impression d’aller à l’encontre de vos valeurs ou de votre philosophie de vie. Vous êtes en quête de sens.

Pour traiter un syndrome « Out », quel qu’il soit, le recours à un coach en développement personnel ou en orientation peut être salutaire. En effet, au-delà du bilan de compétences, un coach vous aidera à identifier vos motivations profondes et à trouver une activité professionnelle qui réveillera votre envie sur le long terme et vous révèlera ainsi à vous-même.

Mais vous me direz : ils ne se posaient pas toutes ces questions, dans les générations précédentes… C’est vrai, ça ? Il faut dire que notre système scolaire et social a joué à merveille son rôle de conditionnement pendant de longues décennies : une formation, un métier, une famille. Et hop ! Emballé, c’est pesé ! Aujourd’hui, les consciences s’éveillent. Est-ce un bien ou un mal ? C’est un fait. Alors peut-être va-t-il falloir revoir aussi notre système éducatif pour que nos enfants se posent de nouvelles questions, et pas uniquement celles des notes et de la conformité ?

Pour aller plus loin

Les solutions du moment : Détox digitale, QVT et Télétravail

On peut mettre ici de côté le cas des slasheurs, qui ne posent finalement pour unique problématique que de rendre un peu plus complexe l’appréhension d’un profil professionnel. Nous allons nous y habituer.

Concernant les autres syndromes évoqués, des solutions semblent poindre.

Pour résoudre la problématique du blurring, et plus exactement du blurring subi, l’un des axes de réflexion tourne autour de la détox digitale. Si nous nous séparons de nos outils connectés, forcément, nous résoudrons une grande partie du problème. Le législateur est passé par là en créant un droit à la déconnexion pour les salariés. Il a été intégré dans la Loi Travail du 21/07/2016. « L’objectif du droit à la déconnexion est de permettre aux salariés de concilier vie personnelle et vie professionnelle, tout en luttant contre les risques de burnout. Pour cela, ils doivent avoir la possibilité de ne pas se connecter aux outils numériques et de ne pas être contacté par leur employeur en dehors de leur temps de travail (congés payés, jours de RTT, week-end, soirées…). Ce droit à la déconnexion concerne tous les salariés, principalement ceux qui ont opté pour le télétravail ou qui bénéficient du statut cadre. » Source

Pourtant, on le sait très bien, une loi a toujours un pouvoir limité, surtout lorsqu’elle n’est pas coercitive et basée sur des critères d’évaluation mesurables. C’est ce que démontre une étude Ipsos, réalisée en juillet 2017, qui constate que 78% des cadres consultent encore leurs communications professionnelles durant leur temps personnel. La loi ne suffit pas, encore faut-il que les individus changent leurs habitudes. Je vous laisse imaginer un cadre d’une grande entreprise qui invoque son droit à la déconnexion auprès de sa direction dans un contexte de crise interne (chez Lactalis ces dernières semaines, par exemple ;-). «Le problème, ce n’est pas le numérique en soi, c’est la valorisation du court terme, de l’immédiateté, de la réactivité dans les entreprises. En conséquence, on se dit que c’est dangereux de faire une entreprise de déconnexion : au fond, on a peur qu’on n’ait pas besoin de nous. Or, plus je suis sollicité, plus j’existe. On crée une sorte d’auto contrôle à base de stress». C’est le sociologue Dominique Boullier qui le dit.

Un autre outil peut être utilisé, celui de la qualité de vie au travail, appelée communément par les spécialistes la « QVT ». Dans certaines entreprises, elle s’incarne « bêtement » par la nomination d’un Chief Happiness Officer, l’installation d’un baby-foot dans la salle de pause ou l’instauration d’une séance de yoga hebdomadaire. Vous aurez deviné que j’envisage la chose sous un angle légèrement plus large. A savoir, une réelle prise en compte des besoins des collaborateurs, avec l’aide d’une enquête de satisfaction. Comment intervenir sur les bons sujets si on n’en a pas dressé le diagnostic ? Encore faut-il être prêt à entendre ce qu’ils ont à dire et se donner les moyens d’agir. Y compris pour faire évoluer les mentalités et la culture de l’entreprise si besoin.

Un troisième axe a tenu une place de choix dans les médias ces derniers mois. Il s’agit du télétravail. En effet, les ordonnances du 22 septembre 2017 ont assoupli les règles de mise en œuvre du télétravail. Là encore, gardons en tête qu’une loi ne fait pas tout. Il suffit pour cela de voir les raisons pour lesquelles le télétravail est parfois refusé : question de responsabilité ou d’assurance, peur du précédent… En réalité, il existe une réelle problématique de manque de confiance et d’un défaut d’outils proposés aux managers pour assurer cette révolution. Vous me voyez venir : il y a des experts, pour ça ! En particulier, les coachs en management. Et aussi, les espaces de coworking, qui proposent un cadre de travail propice pour les salariés et rassurant pour l’entreprise.

Pour aller plus loin

Vous l’aurez compris, il est donc finalement plus question de changements profonds et structurels, que d’outils ou de lois. Comment s’assurer que chacun se sente à sa place ? Comment faire confiance à ses équipes en tant que manager ? Comment mettre en place un système à la fois efficace et responsabilisant ? Comment repenser un environnement de travail inspirant et innovant ? Comment amener une entreprise à travailler avec des profils atypiques ? Cela passe là encore par un accompagnement par les bons professionnels.

Vous voulez lancer une telle réflexion dans votre entreprise ? Je peux vous proposer un accompagnement sur mesure pour en faire un réel projet stratégique à long terme. Pas seule, évidemment. Notre époque est celle des « Out », mais aussi des « Co ». Consultante-projet, je travaille en partenariat étroit avec un cabinet spécialisé dans les mutations du travail, des coachs en management et en développement personnel, des professionnels du bien-être, des formateurs et facilitateurs, des agenceurs d’espaces… Nous accompagnons des projets et des entreprises vers une organisation augmentée, intelligente et réactive. Et surtout, motivée et pérenne !

En attendant de parler de vos projets, j’espère que ces quelques réflexions vous auront permis de prendre du recul et d’enrichir vos réflexions.